Vers le colloque 2022
Les novlangues laissent-t-elles une chance à l’inconscient ?
Argument du Colloque de l’ACF en Corse-Restonica du 15 octobre 2022 à Bastia
La novlangue est à l’origine une invention de l’écrivain George Orwell. C’est la langue officielle
d’Océania dans son roman dystopique « 1984 » paru en 1949. Dans ce contexte, la novlangue est une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l’expression des idées potentiellement subversives et à éviter toute formulation critique de l’État, l’objectif étant d’aller jusqu’à empêcher l’ « idée » même de cette critique[1]. Plus de 70 ans après la parution de cette œuvre, nous pouvons dire que la novlangue est partout, d’où le pluriel dans le titre. Impossible d’y échapper, que ce soit en politique, à l’hôpital, dans les médias, au travail, en famille ou entre amis. Ces nouveaux styles de langues, effets de la mondialisation, ne sont pas sans conséquences sur le lien social propre aux êtres parlants. Depuis que le symbolique et la fonction paternelle sont tombés en désuétude, celui-ci connaît de profondes modifications. Ces novlangues font consister de nouvelles croyances qui caractérisent le lien actuel à l’Autre. Les frontières et les repères symboliques, ravalés à leur rang de semblants, ont perdu de leur force organisatrice et civilisatrice. Ce n’est plus la loi symbolique qui ordonne les jouissances, ce n’est plus le signifiant qui entre dans le signifié, mais la jouissance des sujets qui cherche une nomination[2]. Marie-Hélène Brousse indique que depuis la chute du Nom-du-Père, le frère remplace le père, le corps remplace le nom[3]. Cette bascule d’une transmission verticale à une organisation horizontale s’observe dans la croyance actuelle du sujet qui se pense autonome, qui s’autodétermine et se regroupe dans des communautés identitaires. Pris par sa volonté de savoir, le sujet moderne, usant des novlangues se maintient dans l’illusion de tout dire en un mot, et d’être compris de tous, de manière universelle. Il en est de même pour lui, il croit pouvoir tout dire de son être en un mot. D’où le dico de l’époque épinglé par Jacques-Alain Miller, « Je suis ce que je dis ». Dans la perspective des prochaines Journées de l’École de la Cause freudienne, nous interrogerons les formes contemporaines de déni de l’inconscient.
En effet, à l’ère où les discours de la science et du capitalisme se conjuguent et dominent, le sujet moderne a en horreur le vide. Tout doit avoir une explication, une cause et une solution ; rien ne doit échapper au savoir dit scientifique et le capitalisme œuvre aux possibles qui repoussent toujours plus loin les limites. Aujourd’hui, chacun revendique son trait identitaire comme étant le bon et rejette ceux qui ne le partagent pas ou qui l’interrogent. Les catégories et les étiquettes se multiplient à l’infini. Chaque communauté a son style de discours, sa novlangue faite de paroles qui se veulent efficaces, homogènes, sans malentendu. Exit l’inconscient ! Exit le désir et son énigme. Le sujet de droit prend l’ascendant sur le sujet désirant avec une volonté de gommer en lui toutes les incidences du désir de l’Autre, incidences qui laissent des marques et qui déterminent son existence, son mode de jouir. L’humain se réduit à son dit et à son corps organique. Neurones et hormones sont responsables de ses ratages et/ou de son malaise. Or, la relation directe de l’homme à son corps est impossible. Cet impossible est de structure, du fait même que l’être humain est, comme l’a défini Lacan, un parlêtre. « […] pour la psychanalyse, le réel n’est pas le corps en soi, mais le corps traumatisé par les signifiants. »[4] Ce colloque sera l’occasion de montrer en quoi la pratique analytique, toujours renouvelée, maintient le désir vivant.
Amélia Martinez, Déléguée régionale
[1] Novlangue – Néoparler – Article Wikipédia – consultable sur internet.
[2] Delarue A., « Pluralisation des ségrégations », Hebdo-Blog du 22 juin 2019, n° 176, publication en ligne (www.hebdo-blog.fr)
[3] Brousse M.-H., « Woke ou le racisme au temps du Multiple-sans-l’Un », Lacan Quotidien, n°931, 7 juin 2021, p. 41, publication en ligne (www.lacanquotidien.fr)
[4] Oberlin L., « Conversation d’actualité avec l’École espagnole du Champ freudien », La cause du désir, n°108, 2021, p. 53.