L’enfant pris dans le malentendu

Le 18 mars 2023 a eu lieu la 7ème Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant du Champ freudien sur le thème de « Parents exaspérés – Enfants terribles ». Valéria Sommer-Dupont a débuté la Journée par un questionnement : « qu’est-ce qui fait au fond qu’un enfant croit savoir qui sont ses parents ? » Le lien qui fait famille est avant tout recherché car c’est à partir de son histoire que l’enfant crée une version du lien, précise-t-elle. Elle introduit le concept de « famille comme résidu et non comme socle » en précisant que la parenté met en question la lalangue dont il s’agit, ces signifiants qui viennent de l’Autre et qui impactent l’enfant pour border son interrogation. Si la famille est conçue comme résidu, alors c’est de ce résidu que se constituera le savoir de l’enfant autour de ses parents.

Lors de la séquence : « Paroles de parents, paroles d’enfants », présidée, commentée et animée par Éric Zuliani, celui-ci interroge en quoi consiste la crise au fondement même de la famille. Un point a retenu mon attention, il s’agit du malentendu. Le 30 juin 1980, Jacques Lacan dans son texte « Le malentendu »[1], énonce que « l’homme naît malentendu » et que « de traumatisme il n’y en a pas d’autre ». Il avance que « le verbe est inconscient – soit malentendu », c’est-à-dire que tout ne peut s’en révéler. Ainsi, l’exploit de la psychanalyse est « d’exploiter le malentendu », d’extraire les signifiants qui le composent et qui marquent le corps du sujet.

Dans la présentation clinique de sa rencontre avec Joy, Béatriz Gonzalez-Renou indique que percevoir un enfant impliquerait de repérer les signifiants véhiculés par le père et par la mère. Il s’agirait de prendre en compte la parole de chacun des parents, ce qu’elle a nommé « le grand écart ». É.Zuliani a précisé que cette thèse implique de tenir compte des signifiants véhiculés par chacun des parents, mais aussi par l’enfant, pour pouvoir opérer une coupure entre les deux quand cela est possible. J. Lacan articulait le corps au malentendu en pointant que « le corps ne fait apparition dans le réel que comme malentendu ». C’est-à-dire qu’avant même que le parlêtre vienne au monde, le malentendu est déjà là, il est déjà d’avant, entre les parents, ces « deux parlants qui ne parlent pas la même langue. Deux qui ne s’entendent pas parler ». Le corps du parlêtre ne peut être que pris à l’intérieur de ce malentendu, dans cet inconscient. Ainsi le parlêtre, l’enfant, fait part « du bafouillage » de ses « ascendants », selon J. Lacan. B. Gonzalez-Renou pointe que le malentendu est réel car il est non-entendu par les parents ; le supposer permettrait de faire bouger les lignes. Joy va fabriquer du mal-être, c’est-à-dire un symptôme, en réponse aux signifiants parentaux.

Virginie Leblanc a nommé sa vignette « Inséparées », issue de sa clinique au Courtil, pour nous parler de Lucie, enfant traversée par les signifiants de l’Autre, aujourd’hui adulte et définie par le champ du handicap. Lucie est en présence d’une mère-toute qui a la certitude de savoir dans son propre corps ce que ressentent ses enfants. Elle, sait comment s’occuper de sa mère, elle sait soutenir le corps de sa mère. V. Leblanc propose une thèse en trois temps autour de cette clinique :

1) Mettre en place un éloignement entre la mère et la fille où cette dernière va pouvoir intégrer un appartement thérapeutique ;

2) Proposer des intervenants, une pratique à plusieurs, plutôt que de la Ritaline ;

3) Produire des interventions précises.

V. Leblanc propose de viser la séparation à partir de l’inséparation. C’est-à-dire partir de cette inséparation pour manœuvrer et perdre l’idée de l’incurable. Ainsi, la pratique à plusieurs au Courtil permet d’extraire le corps de Lucie de cette relation mère-fille et de ne pas être assignée à cette place de la fille handicapée, qui produit un pousse à l’éjection subjective. É. Zuliani pointe que dans cette famille, dans cette relation mère-fille, il y a un impossible, un incurable à défaire le nœud qui lie Lucie à sa mère, car ce nœud est serré par deux certitudes : celle de la mère et celle de la fille. Faute de pouvoir opérer une séparation, le corps de Lucie est voué à être déchu. É Zuliani interroge alors l’inséparation langagière comme l’inverse du malentendu.

En conclusion, É. Zuliani fait l’hypothèse que dans la clinique présentée par V. Leblanc, on tient compte de l’impossible séparation entre la mère et la fille pour être inventif dans le traitement. La question de cette impossible séparation va ouvrir la voie de la création : arrêter la métonymie signifiante maternelle tout en laissant le sujet, Lucie, se cogner au malentendu.

 

Clelia Monteferrario

[1] Lacan J., « Le malentendu », Ornicar ?, n°22-23, 1981.