Les psychologues se mobilisent !

Jeudi 10 juin avait lieu une journée de grève nationale des psychologues qui manifestaient contre l’arrêté du 10 mars et la proposition de loi visant à la création d’un ordre des psychologues. Celle-ci débutait par un constat alarmant concernant la santé psychique des Français et le manque de psychiatre révélés par la crise sanitaire. S’ensuivait la nécessité de s’appuyer sur les psychologues et d’encadrer cette profession où « le marché est très saturé »[1] et où il y a « un grand flou autour des notions de psychologues, psychothérapeutes, psychanalystes et psychiatres. En outre le code de référence professionnelle des psychologues est le code APE 8690 F Activités de santé humaines non classée ailleurs où l’on y retrouve notamment des bio‑énergéticiens, des chromo‑thérapeutes ou des coachs en développement personnel : tout cela ne permet pas au public de s’y retrouver facilement. »[2]  Comme l’indique Laurent Dupont, Directeur de l’École de la Cause freudienne, dans Lacan Web Télévision, cette proposition de loi commençait par « une présentation dégradante de la qualité des psychologues ».[3]

Cet arrêté ainsi que la proposition de loi ont été établis sans aucune consultation des représentants de la profession. Il faut préciser que si la loi reste une proposition, l’arrêté du 10 mars dernier a été signé et, bien que contesté, il n’appelle à aucun débat.

À Bastia, une trentaine de psychologues s’est rassemblée devant l’ARS, répondant à l’appel à manifester du collège des psychologues du Centre Hospitalier de Bastia. La diversité qui caractérise notre profession y était représentée, notamment dans nos orientations théoriques, mais aussi dans nos lieux de pratiques (en libéral, en institutions privées ou publiques). Cette mobilisation a pu compter sur la présence de M. Pierre Savelli, maire de Bastia et de Lauda Giudicelli, psychologue et conseillère exécutive de Corse. Aidée dans l’organisation par le syndicat Force Ouvrière, et notamment Pierre-Paul Ugolini, nous avons eu la possibilité de nous exprimer devant les médias (RCFM, Corse Net Info et Corse-Matin) et avons été reçus par deux représentants de l’ARS. Ils ont pris note de nos revendications qu’ils devaient transmettre à Madame Lecenne, Directrice générale de l’ARS de Corse.

Outre la création d’un ordre des psychologues qui revient, comme le dit Laurent Dupont, à « mettre sous coupe réglée la profession des psychologues »[4], d’autres points suscitent ce mouvement de contestation.

Tout d’abord, un rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales[5] datant d’octobre 2019 et repris dans la proposition de loi, qui critique et dénigre la formation des psychologues.

Dans l’arrêté du 10 mars, articulé à ce rapport sur lequel il s’appuie, est émis la possibilité, pour un psychologue en libéral, de signer un contrat avec une plateforme dont le médecin coordonnateur (médecin généraliste) pourra prescrire un forfait de 10 séances, plafonnées à 22 euros. Ce forfait comprend des évaluations qualitatives, quantitatives, éventuellement des tests ou encore des interventions[6]. Tout cela à l’appréciation du médecin coordonnateur et non du psychologue qui perd toute liberté dans sa pratique.

Déjà, en novembre 2019, l’ARS de Nouvelle-Aquitaine élaborait un nouveau cahier des charges, repositionnant l’activité des CMPP avec une plateforme délivrant des prestations, d’une part, auprès d’enfants scolarisés présentant des troubles légers et, d’autre part, auprès d’enfants porteurs de troubles neuro-développementaux (TND).

Cahier des charges qui rappelle un point de l’arrêté du 10 mars où les psychologues sont assignés à employer des bilans et des méthodes imposées pour les enfants atteints de troubles neuro-développementaux. En imposant les techniques cognitivo-comportementales, la remédiation neurocognitive et l’éducation thérapeutiques, toutes thérapies « de la parole » sont exclues et le patient est privé du choix d’une approche thérapeutique.

Quant au diagnostic de TND, regroupant divers troubles tel « un catalogue à la Prévert, qui ne parait pas contenir une consistance épistémologique »[7], il montre comment les neurosciences envahissent tous les champs et viennent empêcher tout questionnement du Sujet. « Les Thérapies Comportementales et Cognitives sont dépassés par pire ! »[8]

Enfin, un dernier point rassemblant les psychologues ce 10 juin concernait leur mise à l’écart, dans la proposition de Loi, du Ségur de la santé (qui prévoit, entre autres, dans les Centre Hospitaliers une revalorisation salariale). Sans oublier, toujours dans le secteur de la fonction publique hospitalière, une précarisation des emplois toujours plus importante.

 

Le forum intitulé « Psychologues : Arrêtons l’arrêté », organisé par l’ECF, est revenu sur ces multiples points à travers des témoignages de psychologues et psychiatres d’orientations psychanalytiques diverses. Ceux-ci montraient combien cet arrêté était un déni de l’inconscient, du Sujet et de la parole.

Des présentations de cas cliniques mettaient pourtant en évidence toute la place que l’orientation psychanalytique a auprès des sujets.

Une phrase percutante de Roland Gory résumait ce qui est en train d’advenir : « Cet arrêté est un coup de force, il s’agit d’en finir avec la parole, et en finir avec la parole, c’est en finir avec la démocratie. »[9]

Je vous invite vivement, si ce n’est déjà fait, à écouter ce forum très éclairant sur les enjeux pour notre profession et qui m’a décidée à m’engager dans le mouvement de mobilisation nationale. Ce mouvement a été très suivi et médiatisé au niveau national et nous apprenions lors du Forum, par Isabelle Galland, présidente de l’Association des Psychologues Freudiens, qu’une requête avait été déposée pour faire annuler cet arrêté. Une pétition intitulée « arrêtons l’arrêté »[10] circule sur le site « change.org » depuis le 14 juin et compte, en date du 17 juin, 4286 signataires.

Nous attendons maintenant les effets de cette mobilisation et des diverses actions…

 

Christel Pellegrini

 


 

[1] Proposition de Loi visant à la création d’un ordre des psychologues n°4055.

[2] Ibid.

[3] Laurent Dupont, LWT https://www.youtube.com/watch?v=kem1FIJUpoY&t=802s.

[4] Laurent Dupont, LWT https://www.youtube.com/watch?v=kem1FIJUpoY&t=802s.

[5] Rapport de l’IGAS N°2019-002R octobre 2019. Prise en charge coordonnée des troubles psychiques : état des lieux et conditions d’évolution.

[6] Article 5 de l’Arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues mentionnée à l’article R.2135-2 du code de la santé publique.

[7] Roland Gori, LWT https://www.youtube.com/watch?v=Ceue4BPEWcE&t=207s.

[8] Hervé Castanet, LWT https://www.youtube.com/watch?v=TCtOuCZBOVc&t=3518s.

[9] Roland Gori, LWT https://www.youtube.com/watch?v=TCtOuCZBOVc&t=3518s.

[10] https://www.change.org/p/tous-les-citoyens-arrêtons-l-arrêté