6e Journée d’étude de la FIPA « Déplacements de la libido »

La Fédération des institutions de psychanalyse appliquée (FIPA) tient sa sixième journée d’étude à Lille, samedi 13 septembre, sur le thème « Déplacements de la libido ». Elle se déroulera en présentiel. Lors de cette journée, les travaux cliniques de praticiens d’institutions de la FIPA seront exposés et discutés. L’argument ci-dessous, ainsi que les modalités pratiques.
Argument :
Du flux et reflux de la libido sur le moi dans les moments de rupture, à l’amour ou la sublimation, du mirage narcissique à l’investissement dans les objets du monde, la libido est labile. C’est toute une cartographie, sous-tendue par la découverte freudienne de la libido que fait ainsi surgir le titre de notre prochaine journée de la FIPA.
Mais au-delà du concept, ces déplacements de la libido convoquent surtout immédiatement notre pratique quotidienne, lorsque justement, le symptôme, incrusté dans le corps, ne produit plus rien d’autre que de la douleur. Pour ces adolescents retirés entre les quatre murs de leur chambre, ou ces étudiants qui ont « décroché », venir au rendez-vous donné s’avère parfois la seule sortie à laquelle consent le sujet pour venir rencontrer un praticien, qui fait alors figure de « moteur immobile », c’est-à-dire, comme le précise Jacques-Alain Miller, « qu’il anime l’autre à se mouvoir et à venir », permettant un premier déplacement de libido en ce qu’il « implique par lui-même, le renoncement à d’autres activités, induit une gêne dans la vie courante et, par là-même, attribue une valeur à cette rencontre. »1
Comment saisir l’actualité de cette triade déplacements/fixation/fixité de la libido chez les sujets qui se présentent dans nos institutions ? Et quel « truc »2 permet, par la parole, que le « quantum de libido » trouve à se réguler et à se nouer autrement, pour qu’on puisse mieux s’en débrouiller ?
« Force constante »3, la poussée de la libido est « invariable », dans son effort vers la satisfaction, y compris dans les moments où la dévitalisation et la souffrance psychique du sujet semblent causer son vidage. Aucun déplacement de libido ne peut donc s’envisager sans son corollaire, cette fixation de libido qui surgit de la répétition hors-sens, de l’itération de ce dont les sujets viennent se plaindre, mais à quoi ils tiennent aussi paradoxalement le plus. Car si la libido est prise, chez le sujet parlant, dans les mailles de la chaîne signifiante où se perd son désir, ce n’en est pas moins toujours avec le caractère d’une certaine fixité, d’où « le concept de jouissance a trouvé sa nécessité »4 dans la relecture lacanienne du concept freudien.
Déplacements/fixation/fixité de la libido : il s’agit de manier délicatement de telles forces opposées chez les sujets que nous recevons, qu’ils soient rivés à leur objet de consommation, soumis aux pousse-à-jouirs contemporains, épinglés par un nom emprunté aux identités de l’époque, immobilisés dans leur élan vital, figés dans une « congélation du désir »5, inséparés d’un Autre dont ils s’estiment trop « dépendants », ou encore « sous emprise », « harcelés », « abandonnés »… S’orienter de cette triple valeur de la libido, c’est miser sur les effets de mutations permis par l’adresse à un praticien orienté par la psychanalyse, et sur les possibilités de redistribution offertes par la formulation d’une plainte, l’isolement d’un point de souffrance et de ses circonstances d’apparition, une localisation qui ouvre à son au-delà. C’est aussi savoir à quel point mettre en forme l’informe, prendre langue pour extraire des bribes de parole constitue déjà une première et précieuse relance de la chaîne signifiante, et déjà la chance que la charge libidinale concentrée dans un signifiant puisse, séance après séance, s’alléger ; et que surgisse peut-être une nouvelle nomination, plus singulière ; ou encore qu’émerge un nouvel objet grâce auquel le sujet puisse à nouveau circuler dans le monde.
Depuis l’orientation lacanienne, c’est donc toute l’inventivité des cliniciens des institutions de la FIPA qui se fera entendre durant cette prochaine journée de travail. Loin de toute visée idéalisante ou normativante, s’y démontrera, cas après cas, comment une rencontre sous transfert avec un praticien – « analysant-civilisé »6, peut ouvrir la voie à un bien-dire comme premier pas vers une nouvelle satisfaction.
- 1Miller J.-A., « La séance analytique », Hebdo-blog, n°198, 5 avril 2020, disponible en ligne.
- 2Lacan J., « Conclusions du IXe Congrès de l’École freudienne de Paris », La Cause du désir, n°103, octobre 2019, p. 22.
- 3Freud S., « Pulsion et destin des pulsions », Métapsychologie, Paris, PUF, 2010, p. 9.
- 4Miller J.-A, « Nous sommes poussés par des hasards à droite et à gauche », La Cause freudienne, n°71, juin 2009, p. 70.
- 5Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 8 avril 1975, in Ornicar ? n° 5, hiver 1975/76, p. 42.
- 6Selon l’heureuse formule d’Éric Laurent.
Orientations #1
Mutations libidinales et acte du clinicien
Dans son argument de la journée FIPA, Virginie Leblanc-Roïc isole une triple valeur de la libido : déplacements/fixation/fixité, ouvrant à un enjeu pour le praticien de nos institutions orientées par la psychanalyse : quels effets de mutation sont-ils possibles dans ces dispositifs ? Quelles mutations libidinales y lit-on ? Ces effets ont un préalable. Dans le Séminaire L’Acte psychanalytique (1967-1968), Lacan pose que « la psychanalyse, ça fait quelque chose. [1] » Ce « quelque chose » fait advenir l’acte saisi comme « franchissement [2] » d’un « certain seuil où je me mets hors la loi [3] ».
L’année de ce Séminaire, Lacan monte le ton à l’endroit de ses élèves en rappelant que ce sont les psychanalystes eux-mêmes qui ont oublié la découverte de l’inconscient ! Rien que ça ! Comment l’expliquer ? Il touche à ce que les analystes ont baissé les bras justement devant l’acte en refoulant « l’acte de l’analyste » dans une cure. « Pour revenir à nos moutons, dit-il, la tâche, c’est la psychanalyse. L’acte, c’est ce par quoi le psychanalyste se commet à en répondre. [4] » Il ajoute : « Dès lors nul étonnement que l’acte, en tant qu’il n’existe que d’être signifiant, se révèle apte à supporter l’inconscient [5] ». L’Acte psychanalytique est la réponse aux mots qu’il emploie pour désigner alors l’état de la psychanalyse : c’est le creux de la vague, l’invention s’étiole – voici la carence, l’impasse, l’incompréhension, le ratage, l’oubli, l’achoppement, la trahison – plus décisif : l’échec. Rappeler ces termes radicaux de Lacan n’est pas pour décourager mais pour poser la responsabilité du psychanalyste dans ce qui advient dans la psychanalyse : « Ce n’est tout de même pas du discours de l’inconscient que nous allons recueillir la théorie qui en rend compte [6] », martèle-t-il, excédé. La théorie est à la charge de l’analyste – une théorie active.
Oui, affaire interne aux seuls psychanalystes, diront certains ne se voulant pas concernés ! Pas du tout, répond Lacan : « L’acte psychanalytique regarde, et fort directement, et d’abord dirai-je, ceux qui n’en font pas profession. [7] » Autrement dit, c’est parce que nous avons à savoir ce que l’acte psychanalytique est et n’est pas que les conduites des consultations et traitements, dans les CPCT et institutions associées, doivent être convoquées. Prioritairement ceci : si le clinicien orienté par la psychanalyse, à son tour, veut reculer devant l’acte, il oubliera, pour lui-même, la découverte de l’inconscient et s’avérera incapable de savoir comment des effets cliniques, où se lisent les mutations de la libido, peuvent advenir. La spécificité de cette clinique nouvelle dans la FIPA s’en trouverait aussitôt diluée dans la multiplicité des pratiques où l’inconscient n’est plus aux commandes. Sans l’acte, impossible de nommer les effets thérapeutiques se déduisant des moyens psychanalytiques engagés ou de repérer ce qui fait inventions cliniques. L’acte est au cœur des CPCT et autres institutions. Chaque clinicien a à s’en commettre d’y répondre – ce sera sa mise !
Hervé Castanet
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre xv, L’Acte psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil et Le Champ freudien, 2024, p. 12.
[2] Ibid.
[3] Ibid., p. 17.
[4] Lacan J., « La méprise du sujet supposé savoir », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 346.
[5] Ibid., p. 356.
[6] Ibid., p. 330.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre xv, L’Acte psychanalytique, op. cit., p. 31.
Infos pratiques :
Samedi 13 septembre 2025, de 9h à 18h
Lille, Grand Palais
Contact : fipa@causefreudienne.org
Tarifs :
– à titre individuel : 70 €
– Tarif réduit: 40 euros